Une salle de cours des années 60 est configurée avec une soixantaine d'étudiants devant des Autotutor Mark II.

Technologie des techniques éducatives

Les techniques éducatives sont cassées, réparons-les!

Sauvons les tortues!

Après avoir expliqué comment les systèmes éducatifs ont pu assimiler les techniques numériques inventées par des personnalités du MIT comme Seymour PAPERT et Mitchel RESNICK, sans pour autant chercher à s’en accommoder, il me semble qu’il est temps de remonter nos manches et (ré)explorer ces outils pour comprendre ce qu’ils avaient de potentiellement révolutionnaire (… ou pas). Il y a sans doute quelques bonnes raisons pour que ces outils ne soient pas déployés comme espéré. On peut également s’interroger sur le fait que PAPERT ou RESNICK aient pu se laisser emporter par une forme d’enthousiasme geek, sans pour autant apporter une solution réellement viable dans l’école.

Certains auteurs se sont déjà chargés d’identifier les limites des approches éducatives avec les micromondes (Linard, 2002). Il ne s’agit pas ici de refaire cette analyse, mais bel et bien de savoir si quelque chose mérite d’être préservé dans les approches proposées par le MIT il y a un demi-siècle. En effet, si les micromondes présentent vraisemblablement un certain nombre d’écueils, il faut aussi constater qu’il sont souvent mal utilisés. C’est par exemple le cas avec les logiciels de géométrie dynamique, dont les usages usuels dépassent difficilement le tracé de figures en contexte de classe. Autrement dit, il parait difficile de savoir si ce sont les micromondes qui ne sont pas féconds, ou si c’est leur mésusage qui les a stérilisés. Il parait prématuré de jeter le bébé avec l’eau du bain.

Retour en 1980

Comme d’habitude, je m’évertuerai à démontrer qu’avant de sauter sur la première innovation gratifiée d’une épithète pédante à base de novlangue (un petit retour au G.é.r.a.r.d. ne peut pas faire de mal), il suffit parfois de regarder chez ces pionniers. Ceux-ci n’avaient, au début des années 80, que des ordinateurs en 8 bit, et il n’était pas question de mettre des effets de sapins de Noël partout dans les logiciels pour faire illusion de modernitude ou d’innovationisme.

L’histoire de la tortue promobile T2 Jeulin est intéressante à plus d’un titre. Évidemment, elle est une copie des tortues du MIT, peut-être même un peu dépassée techniquement. La Yellow Turtle est conçue en 1969 et Irving, la première tortue sans fil radiocommandée, voit le jour en 1972. En 1981, la tortue T2 est équipée d’un cordon ombilical qui disparaitra avec la T3 au profit d’une commande infrarouge (un choix évidemment discutable pour investir tout l’espace). Les tortues Jeulin sont le fruit d’une collaborations entre l’INRP, la société Jeulin et le centre de formation des professeurs techniques (CFPT) de Cachan. Dans mes pérégrinations sur le web, j’ai été très heureux de trouver ce dossier d’étude de la tortue par des élèves professeurs (voir ici) de Cachan.

Mais là n’est pas le plus important, cette tortue, tout en étant « logo compatible » en utilisant les ordinateurs Thomson, est aussi conçue pour s’éloigner sensiblement du logo afin d’être introduite en maternelle. Plus précisément, elle reprend quelques idées du Logo, comme la commande de déplacement associée à une distance, mais sans passer par la saisie du texte. Elle utilise alors, un codage binaire selon le bon vieux principe des cartes perforées.

Contrairement au logo, les cartes perforées permettent de débuter la programmation avant de maitriser l’écriture.

Certes, on peut discuter de l’ergonomie de ces cartes, notamment la trop faible différence entre les cartes avance de 1cm, de 10 cm et de 20 cm pour un non-lecteur, mais elles permettent le codage par un geste plus simple que l’écriture, fût-elle au clavier.

Un petit détour par les archives de Publimaths nous fait découvrir quelques pépites, dont ce compte rendu d’activité de 1985 en grande section. Les activités de repérage et de tracé sont visiblement complexes, comme l’indique l’extrait ci-dessous.

Château-fort dessiné à la tortue de sol par des élèves de GS maternelle
Où acheter une tortue en 2023?

Il existe des tortues de sol, mais elles sont « relativement chères » (par exemple les Thymio) ou très limitées (par exemple les Bee-bot). Aucune ne passe par la programmation par carte qui me parait intéressante à plus d’un égard, en particulier pour de jeunes enfants.

Il me semble également que fabriquer sa carte perforée codant un caractère ASCII n’est pas un geste anodin pour comprendre le fonctionnement d’un ordinateur. Entrer les commandes manuellement (au sens strict du terme) puis attendre leur exécution et la fin de celle-ci par la machine n’est pas anodin non plus. Je parlerai peut-être prochainement de la question « oubliée » de la séquentialité dans la programmation des objets technique.

Peu satisfait de l’offre commerciale, j’ai donc reconçu un robot sous Arduino pilotable pars carte perforées en m’appuyant sur les choix techniques de Jeulin de 1980. La fabrication de ce robot fera l’objet d’un prochain billet, mais, en attendant, voici quelques photographies et une petite vidéo de démonstration.

fichier STL et code

Les modèles pour l’impression 3D sont disponibles sur les liens ci-dessous.

Le code du robot tortue est disponible ci-dessous. Il faut paramétrer la largeur de l’empattement (variable après montage) et le diamètre des roues. Le réglage fin de ces paramètre donne de la précisionlors du tracé des figures.

Et la suite…

Il faut encore finaliser le lecteur de carte en lui offrant la possibilité d’enregistrer les cartes et rappeler les programmes et les sous-programmes. Une fois ce travail achevé, une page sera évidemment consacrée au lecteur de carte qui me semble prometteur pour travailler la culture informatique.