Une salle de cours des années 60 est configurée avec une soixantaine d'étudiants devant des Autotutor Mark II.

Technologie des techniques éducatives

Les techniques éducatives sont cassées, réparons-les!

A propos du rouleau dans les machines à enseigner

Le titre peut paraitre saugrenu, mais j’avais envie de m’attaquer à la question des rouleaux dans les machines à enseigner. En effet, le choix de retenir le rouleau de papier sur les machines pré-informatiques ne relève pas du hasard et signifie quelque chose en matière de scénarisation de contenu.

Le rouleau de papier permet de présenter successivement des « grains » qui montrent de l’information (grains informatifs, donc), ou bien qui invitent l’apprenant à une action impliquant une rétroaction de la machine (que j’appelle grains formatifs pour les distinguer des premiers). La recherche de la granularisation optimale et la succession de ceux-ci étaient l’un des principes fondamentaux de l’enseignement programmé.

En 1965, DE MONTMOLLIN, pose la structuration comme un des principes fondamentaux de la programmation des apprentissages:

La matière à enseigner doit être analysée en ses composants élémentaires ( faits, concepts, etc.) et les relations qui existent entre ces composants élémentaires doivent être déterminées. Ces relations peuvent être plus ou moins complexes (hiérarchie simple ou réseau multiple). Les composants sont groupés pour former des unités plus importantes, ce qui correponds aux parties, chapitres, paragraphes des manuels classiques.

(De Montmollin, 1965, p. 7-8)
Avant le rouleau, il y avait le tambour et les disques
La succession de feuilles précède le tambour

Avant de parler des rouleaux, nous allons évoquer deux techniques retenues pour obtenir cette succession des grains. La première technique s’appuie sur les feuilles de papier et a été retenue en 1926 par Sidney PRESSEY dans la Drum tutor (le brevet est accessible ici). Cette machine est imaginée pour faire passer des tests standardisés, mais aussi, selon Pressey pour automatiser les tâches routinières pour libérer les enseignants pour faire « plus de véritable enseignement » (Pressey, 1927, p. 42).

brevet déposé par S. Pressey en 1926

Sur la première page du brevet, on peut voir que cette machine est conçue pour faire défiler une feuille de papier. Chaque question appelait une saisie de réponse.

Le système de comptage (la machine incrémente ou pas le score) ou de progression (la machine n’avance à la question suivante qu’en cas de bonne réponse) est basé sur un tambour comprenant des onglets déplaçables.

L’idée de présenter les questions sur des feuilles de papier standard sera reprise dans les années 1960 par la machine TMI de Grolier qui proposera des programmes d’enseignement sur une succession de feuilles.

La simplicité et la disponibilité des feuilles de papier présentent un défaut majeur dans la construction d’un programme d’enseignement: le mélange qui pourrait altérer la relation entre les grains. Il n’y a aucune technique simple pour garantir la succession des questions. La numérotation des feuilles puis le tri manuel sont alors les moyens les plus adaptés pour résoudre la question de la succession.

Le tambour

Malgré son indéniable ingéniosité, la première machine de PRESSEY présente deux défauts majeurs. La taille du tambour limite rapidement le nombre de questions et la synchronisation entre le tambour et la feuille n’est pas garanti. Ces deux limites seront résolues dans la seconde machine de cet inventeur, la Pressey Testing Machine, qui est basée sur un tambour en carton autorisant un plus grand nombre de questions, mais dans laquelle il n’est plus question d’entrainer le support papier comprenant les questions.

Pressey testing machine
Le disque

Quelques années plus tard, vers 1960, B.F. SKINNER propose sa version de la machine à apprendre, avec une approche sensiblement différente. Alors que les apprentissages chez PRESSEY sont censés apparaitre grâce à la connaissance du résultat (Knowledge of results), Skinner propose d’apprendre grâce au conditionnement opérant (renforcement de la réponse correcte). Dans son prototype, il choisit de retenir le disque comme média pour se faire succéder les questions, mais les réponses sont saisies sur une bande de papier.

Prototype de la machine à enseigner de Skinner

Le disque pose le même problème que le premier tambour de PRESSEY. En effet, si on désire augmenter le nombre de questions, il faut des disques de plus en plus grands, et, par conséquent, moins aisés à manipuler. À ma connaissance, le seul objet commercial qui a repris le principe du disque et le Cyclo-teacher. On voit sur la photographie suivante que l’objet présente une certaine taille et ne permet de poser que 15 questions. Les réponses sont rédigées sur les disques blancs que l’on voit en haut à gauche de la première photo.

ensemble Cyclo-Teacher
Cyclo-teacher dans une main d’adulte
Intérêt spatial des rouleaux
Un enfant ouvre la Didak 501 dans laquelle on aperçoit la bande de question et le rouleau des réponses

Nous venons de voir les limites des tambours et des disques pour médiatiser des questions. Si on désire proposer un maximum de questions dans un emplacement réduit, le rouleau (ou la bande) de papier finit par s’imposer. C’est ainsi que SKINNER et Rheem Califone finissent par l’adopter dans les Didak 501, comme le montre l’image ci-dessous. Au regard des plis, c’est la bande qui semble avoir été retenue pour médiatiser les questions.

Le rouleau est présent dans de nombreuses machines à enseigner ou d’aide à l’apprentissage.

Le rouleau n’est pas qu’une question de papier

Il existe d’autres machines d’apprentissages dans lesquelles on peut apercevoir d’autres formes de rouleaux. C’est le cas des Autotutor Mark I et Mark II de CROWDER. Les rouleaux utilisés ici sont des bobines de film photographiques. Mais la particularité de cette machine réside dans le fait que les étapes ne sont pas nécessairement présentées successivement.

Les films fixes de 35mm destinés à la projection en classe regroupent également des grains (généralement informatifs) assemblés successivement sur des « rouleaux ».

film fixe ODF
Leçon de choses automobile sur la suspension.
Au-delà de la question technique

Certes, le rapport entre la place occupée et le contenu qu’il est possible de médiatiser sur un rouleau de place justifie le recours à celui-ci. Cependant, il existe d’autres façons d’agencer les grains formatifs, comme dans les flashcards (sortie plus ou moins aléatoire). Ce qui parait alors justifier la nécessité d’un assemblage chronologique des grains, c’est l’idée d’une programmation de l’apprentissage (la « relation » chez De Montmollin). Ce que nous disent ces rouleaux, c’est qu’un apprentissage sur machine, ça se construit, ça s’élabore à partir de l’idée que des apprentissages ne sont possibles que si une forme de progressivité ou de logique interne s’installe.

Bien sûr, la programmation des apprentissages a été très clairement critiquée dans les années 1970. Il convient toutefois de prendre quelque distance avec cette critique qui semble cependant davantage orientée vers le conditionnement opérant que vers la programmation elle-même. L’échec de l’Enseignement Assisté par Ordinateur (EAO) sur les premiers ordinateurs individuels n’a pas non plus aidé à donner une image positive de la programmation des apprentissages. Toutefois, il subsiste encore des traces de ces modalités d’enseignement programmé dans les MOOC et la montée en puissance des techniques d’intelligence artificielle semble pouvoir permettre assez rapidement la concrétisation du vieux mythe de l’individualisation des parcours d’apprentissages grâce aux techniques numériques.

Aujourd’hui, il convient de constater que ces techniques numériques sont généralement utilisées de façon granulaire (un, voire plusieurs Q.C.M., une tâche simple avec rétroaction, un exercice, etc.) et que la question des apprentissages pré-programmés ou pré-planifiés semble être un peu sortis de la trousse à outil des enseignants ou de l’Edtech, sauf, peut-être, dans les stratégies de ludification ou de simulation.

Finalement, ce que nous disent les rouleaux, c’est qu’à un certain moment des techniques éducatives étaient utilisées de façon plus planifiées qu’aujourd’hui où le recours à ces techniques revêt peut-être un aspect plus opportuniste. Ils nous disent également que l’apprentissage est parfois envisagé comme une relation processus/produit dans lequel une succession d’étapes permettrait la réalisation d’un apprentissage.

C’est sans doute cette idée de relation entre les différents grains d’apprentissage qu’il faut retenir et mettre en débat pour une réflexion sur la scénarisation des parcours d’enseignement à distance, des serious et escapes games ou encore des MOOC dans leur diversité.

Bien entendu, vous avez le droit de ne pas être d’accord
Bibliographie

De Montmollin, M. (1965). L’enseignement programmé. P.U.F.

Planque, B. (1967). Machines à enseigner. Casterman.

Pressey, S.L. (1927). A Machine for Automatic Teaching of Drill Material. School and Society 25, 549–52.