Les premières calculatrices électroniques de poche apparaissent au début des années 1970 (la première serait la E-120A de Busicom de 1971). Toutefois, la société Texas Instruments dépose un brevet de calculatrice de poche en 1967 (Accessible ici).

Après avoir imaginé quelques calculatrices électroniques, cette société investit aussi un champ original, celui des jeux éducatifs électroniques. Ils ne sont, bien évidemment pas les seuls, mais, là ou d’autres restent dans le champs de la culture générale et de la connaissance, Texas Instruments imagine un dispositif original: la calculatrice inversée. Au lieu de donner le résultat à un calcul, la calculatrice pose une opération ou laisse l’opérateur poser la question et c’est la personne qui doit entrer la réponse à l’opération. La calculatrice « se contente » de valider ou non le résultat.
C’est ainsi que Little professor sort en 1976, très rapidement suivi de Dataman en 1977.
Little professor

Little professor est une calculatrice qui permet de s’entrainer aux quatre opérations de base. Elle aurait été vendue à 1 million d’exemplaire la première année. Il est parfois considéré comme le premier jeu éducatif électronique.

Il a été produit presque sans discontinuer depuis, et il est encore possible, à l’heure ou j’écris ces ligne d’en acheter des modèles neufs (la page Little professor de Texas Instruments est disponible ici). Les trois premiers modèles fonctionnent sur des piles 9V et sont très gourmands en énergie, puis l’arrivée des écrans LCD permet de passer à des piles bouton et enfin à l’énergie solaire.
Little professor s’utilise en choisissant; dès le démarrage, un niveau de difficulté parmi les quatre proposés puis en choisissant le type d’opération (=,-,x,/). La machine propose alors une opération ( par exemple 3×4=?). Le joueur est invité à proposer une réponse. Si elle est bonne, elle est validée ou une animation « moustache » (écrans LED). Lorsqu’elle est fausse, l’écran affiche « EEE » ou « Err » dans les modèles les plus récents, mais n’affiche jamais la proposition erronée. Le joueur a le droit à deux essais avant que la machine ne délivre le résultat attendu. Le joueur joue en 10 coups contre 5 coups sur les modèles récente et le nombre de bonnes réponses obtenues est affiché à la fin. Concernant la division seules les divisions sans restes sont affichées.

Les jouets éducatifs électroniques fabriqués par Texas Instruments possèdent toujours le même mode de fonctionnement: 2 essais avant de donner la bonne réponse. La réussite est gratifiée d’une animation sur les modèles LCD (Mais rien sur les modèle à affichage fluorescent), la moustache du professeur s’agite . Par ailleurs, le jouet n’affiche jamais la réponse erronée. Ces deux derniers éléments (gratification et absence de fréquentation de l’erreur) ainsi que la nécessité de construire soi-même la réponse (contrairement aux QCM) peuvent directement être reliés aux théories de B.F. Skinner.
Dataman
Un an après le Little professor, Texas Instruments commercialise le Dataman. Signe d’un autre temps, il a été fabriqué au Salvador et en Italie (et pas en Chine).

Il est plus complexe que la calculatrice précédente car il comprend, en plus de la calculatrice inversée, d’autres activités comme:
Get Answer (par défaut à l’allumage)

L’activité est une calculatrice inversée, mais contrairement au Little professor, qui détermine l’opération, le joueur peut ici taper sa propre opération.
Electro Flash

Le joueur peut réviser les résultats des opérations pour un nombre et une opération ( addition avec 3, division par 4, table des 7, etc.).
Wipe Out

Il s’agit d’un jeu de patate chaude qui se joue à plusieurs. Les opérations à résoudre apparaissent durant une durée aléatoire. Chaque joueur résout une opération puis passe Dataman à son voisin. Le joueur qui est en train de résoudre l’opération quand le chronomètre s’arrête est le perdant.
Number Guesser

Jeu d’encadrement, Dataman choisit aléatoirement un nombre entre 9 et 100. Il faut trouver le nombre mystère en l’encadrant. La machine enregistre le nombre de coups nécessaires pour obtenir le bon résultat.
Force Out

Ce jeu est un jeu de Nim. Dataman choisit un nombre aléatoire et chaque joueur soustrait alternativement un nombre de 1 à 9 à ce chiffre. Le joueur perdant est celui qui atteint zéro.
En plus
Dataman permet de stocker des opérations spécifiques dans une banque de mémoire de 10 opérations. il permet également de travailler avec des divisions euclidiennes.
Une réflexion pédagogique
Little professor et Dataman sont accompagnés de livrets pédagogiques. Ils sont disponibles sur le site Datamath.org. Par exemple, le livret d’utilisation Dataman est disponible ici et un livret « d’aventures » est disponible ici. Le livret d’accompagnement du Little professor 1976 est disponible ici.



Ils permettent de varier les activités pédagogiques, mais, comme dans beaucoup de logiciels et jeux électronique éducatifs américains de cette période, l’influence du behaviorisme n’est jamais loin. Si le Little professor a clairement été conçu dans ce but, il existe quelques pistes plus ou moins constructivistes dans le livret du Dataman.

La carte ci-dessus est issue de la boite de jeu Dataman. Même si nous sommes encore dans l’ère de « l’électronique », les concepteurs du Dataman n’échappent pas aux poncifs sur le « numérique » et ses plus values supposées (attention, motivation, efficacité, etc.). Je sais bien que l’électronique est numérique, il y aura certainement matière à disserter ultérieurement sur ces questions.
La succession
Malgré son originalité, Dataman disparait très vite des produits commercialisés par Texas Instruments. Il sera remplacé en 1980 par Math Marvel et Math Star ( Les nombres magiques en France). Ils possèdent les mêmes fonctionnalités mais sont tellement plus convenus.


En ce qui concerne le Little professor, il est encore disponible en neuf et l’esprit d’origine est maintenu avec quelques modernisations dont je laisserai chacun juger du bon gout. Toutefois TI a proposé un fork plutôt amusant avec Mickey et un autre relativement insipide, Math… To Go ( professor 1,2,3 en europe).


Aujourdh’ui, la calculatrice « TI-Primaire Plus » renoue partiellement avec la lignée des calculatrices inversées avec son mode exercice. Il s’agit d’une calculatrice, mais dans laquelle, il est possible de programmer des formes d’inversion, mais aussi des opération à trous sur les données ou sur les opérations.

Pour conclure
Que faire de cela? En ce qui concerne le Little professor, il n’y a pas grand chose à en faire sinon apprendre les tables de multiplication. C’est behavioriste, ça marche, mais ça lasse vite. En ce qui concerne l’apprentissage des « tables » d’addition, il semble que l’effort demandé par l’automatisation n’apporte que peu de gain en termes d’apprentissage. Enfin pour les divisions le fait de ne travailler que sur des entiers limite beaucoup les possibilités.
En revanche, les produits de la famille de Dataman possèdent un potentiel qui parait sous exploité dans les documentations fournies par Texas Instruments. Ce genre de produit permet de mettre en place des démarches expérimentales en mathématiques, par exemple, pour établir les relations entre les différentes opérations, découvrir la priorité des opérations ou encore les propriétés des opérations. Le travail sur la division euclidienne peut également être intéressant dans la découverte de la division ( plus, sans doute, qu’avec une calculatrice électronique classique).
Enfin, je ne résiste pas au plaisir de vous partager la publicité télévisée d’époque sur ces produits.
Il existe aussi un émulateur de Little professor sous Android (disponible ici). Mais il est possible d’émuler ces deux machines avec Mame.
La rédaction de cet article n’aurait pas été possible sans l’excellent travail de documentation réalisé par Dallas and Joerg Woerner sur le site Datamaths (A visiter absolument si vous aimez les calculatrices).